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[ fiche méthode] (nouveau programme : Sujet 1 "commentaire")

Sujet 2 - Commentaire composé

1 - Le texte.

J'avais tout débité d'un trait, de peur qu'elle ne m'interrompe, de peur que je ne trébuche sur les mots. Je ne l'avais pas regardée une seule fois. Et quand je m'étais tu, je ne l'avais pas regardée non plus. J'avais peur de voir dans ses yeux ce qui pourrait ressembler à de l'indifférence, ou à de la compassion. Ou même à de la surprise, car si je savais pertinemment que je la surprenais par cette déclaration, toute manifestation de surprise m'aurait donné à penser que nous n'étions pas dans les mêmes dispositions - et tout ce qu'elle aurait pu dire, après cela, n'aurait été que politesse et consolation.
Je ne regardais donc pas, et si j'avais pu détourner les oreilles comme je détournais les yeux, je l'aurais fait. Car autant que dans son regard, je redoutais d'entendre dans ses mots, dans l'intonation de sa voix, l'indifférence, la compassion... J'écoutais seulement sa respiration, chaude comme un soupir.
" Oui. "
Elle avait dit " oui ".
C'était la réponse la plus belle, la plus simple, et pourtant c'était celle que j'attendais le moins.
Elle aurait pu se lancer dans des formules contorsionnées pour expliquer que, dans ces circonstances, il ne lui semblait pas possible que... Je l'aurais interrompue brutalement, pour lui dire: " N'en parlons plus ! " Elle m'aurait fait promettre que nous resterions tout de même bons amis, j'aurais dit : " Bien sûr ", mais je n'aurais plus jamais voulu la revoir ni entendre prononcer son nom.
Elle aurait pu, à l'inverse, m'expliquer qu'elle aussi ressentait la même chose, depuis notre première rencontre... J'aurais su quoi dire, quoi faire.
Ce " oui " simple, ce " oui " sec, me laissait sans voix
J'avais presque envie de lui demander : " Oui, quoi ? " Parce qu'elle pouvait simplement avoir voulu dire : " Oui, j'ai entendu " ; " Oui, je prends acte " ; " Oui, je vais réfléchir ".
Je l'avais regardée, inquiet, incrédule.
C'était le vrai " oui ", le " oui " le plus pur. Avec des yeux en larmes et un sourire de femme aimée.

Amin MAALOUF, Les Échelles du Levant, 1996.

I- Questions (4 points)

1- Quel est le sentiment qui domine dans les deux premiers paragraphes et quel est le champ lexical qui s'y rapporte ? (1 point)
2 - Depuis " Elle aurait pu se lancer dans des formules... " jusqu'à " ... J'aurais su quoi dire, quoi faire. "(lignes 17 à 23)
a) étudiez le jeu des modes et des temps ; (1.5 point)
b) relevez, en les classant, les pronoms personnels et les adjectifs possessifs de ce passage ;
que remarquez-vous ? (1.5 point)

II- Commentaire composé (16 points)

Vous présenterez un commentaire composé de ce texte. (16 points)

2 - Pistes de réponses :

Questions :

1- Quel est le sentiment qui domine dans les deux premiers paragraphes et quel est le champ lexical qui s'y rapporte ? (1 point)
- Le sentiment qui domine dans les deux premiers paragraphes de ce texte est le sentiment de "la peur" avec un champ lexical relativement précis qui s'y rapporte : "de peur qu'", "de peur que", "J'avais peur" (l1 à 3) et "je redoutais" (l.10) On pourrait ajouter à ce champ lexical, le réseau sémantique de "l'expression physique de la peur" par la description du comportement du personnage : "si j'avais pu détourner les oreilles, comme si je détournais les yeux…" (l.9-10). Cette attitude semble correspondre pour lui à la manifestation physique de sa peur.

2- Depuis " Elle aurait pu se lancer dans des formules…" jusqu'à "…J'aurais su quoi dire, quoi faire."
a) Le temps dominant est le conditionnel passé première forme : "Elle aurait pu" , "Je l'aurais interrompue", "Elle m'aurait fait", "j'aurais dit", "je n'aurais jamais plus voulu". Tous ces verbes sont régis par une hypothèse non formulée explicitement par le personnage : "si elle avait voulu me dire non, elle aurait pu…". Le narrateur imagine une scène irréelle qui aurait pu se dérouler dans son passé : c'est cette valeur "d'irréel du passé" qui est repérable ici.
Les autres formes verbales rencontrées :

b) Les pronoms personnels représentent trois entités :
Le narrateur est représenté par des pronoms personnels sujets ("je" et sa forme élidée "j'", 5 fois) et un pronom personnel complément ("m'", 1 fois).
La femme est représentée par des pronoms personnels sujets ( "elle " 4 fois), ou compléments ("lui", "la" - ou sa forme élidée "l'"), ou réfléchi ("se" 1 fois)
Il y a un adjectif possessif : "son".
Le couple (la femme et le narrateur) est représenté par un seul pronom personnel à la première personne du pluriel, "nous". et un seul adjectif possessif : "notre".

On remarque donc dans ce passage la forte présence du pronom personnel qui représente la femme et l'homme (en moindre quantité) pris comme personnages isolés, au détriment (logique) de la représentativité du couple ("nous") puisque celui-ci n'est pas encore formé.

Commentaire :

Quelles pistes suivre pour se rassurer et assurer un commentaire composé ? Le texte de Maalouf (livre proposé au dernier atelier lecture du Mirail !) est le contraire d'un texte rassurant à analyser : il est clair, beau, émotionnellement très fort, mais il n'appartient pas aux corpus des textes scolairement proposés, et du coup, il laisse peu de place aux "prises analytiques" (explicatives). Texte autobiographique ? Une première rencontre ? Un portrait ? Oui et non… Le naturalisme ?

Que raconte l'extrait des "Echelles du levant" ? Un drôle de dialogue composé d'une seule réplique ("oui", l.13). Ou peut-être plus un monologue intérieur : un homme "inquiet" (l.28) vient de déclarer son amour, et/ou de demander une femme ("elle") en mariage, et il attend sa réponse. Autour de cette attente nous l'entendons s'interroger, s'étonner, brosser son "paysage intérieur"…

N'ayant aucune prise biographique tangible, nous ferons semblant de croire que ce "je" qui s'exprime est très proche de l'auteur : nous pourrons ainsi, à la lumière de ce discours sur le discours, dessiner le portrait des deux protagonistes… Mais voyons tout d'abord l'expression de la peur exprimée notamment au début du texte.

 

Le texte dit en 30 lignes ce qui se passe (très vite ?) dans la tête du personnage masculin. La question posée (celle que suppose une "déclaration", l.5), en amont du texte est fragilisante : "m'aimes-tu ?", "voulez-vous m'épouser" (ou une variante supposée plus moderne : "veux-tu bien venir vivre avec moi ?" ou plus injonctive : "on s'installe ensemble ?" mais pas triviale - comme dans la chanson "voulez-vous coucher avec moi, ce soir"…). La question (avec sa réponse attendue) est considérée comme un engagement définitif, l'engagement de toute une vie : un "non" ? et "je n'aurais plus jamais voulu la revoir ni entendre prononcer son nom" (l.21 - son "nom" ou son "non" ?) ; un "oui" ? et se construit l'engagement d'entretenir une flamme, un espace de vie partagée (pour le pire et le meilleur !) et d'animer encore ce "sourire de femme aimée" (l.30).

Ainsi fragilisé dans l'attente d'une réponse, le personnage exprime sa "peur" (mot répété trois fois de la ligne 1 à 3) : "je redoutais d'entendre […] l'indifférence, la compassion" (l.10). Cette angoisse est visible dans son attitude corporelle : "je ne regardais donc pas, et si j'avais pu détourner les oreilles comme je détournais les yeux, je l'aurais fait" (l.9), mais surtout lisible dans la torture mentale qu'il exprime dans ce discours sur le discours.

Sa déclaration, en amont, a été "débité(e) d'un trait" (l.1), comme une leçon apprise par cœur afin de ne pas trébucher "sur les mots" (l.2) et maintenant il ressent la peur de n'être pas tous les deux "dans les mêmes dispositions" (l.7). Entre le "OUI" et le fait d'oser regarder sa partenaire, le déséquilibre (mental) s'exprime par des irréels du passé : "elle aurait pu", "je l'aurais interrompue", "elle m'aurait fait promettre", "j'aurais dit" (l.17 à l.23)… toutes suppositions qui lui traversent l'esprit sans raisons objectives mais bien par le seul fait d'une situation plus qu'inconfortable. Dans l'imagerie populaire occidentale, l'homme, lors de sa demande en mariage, est à genou aux pieds de la femme. Ici, il n'est pas dans cette attitude, mais il est tête baissée, regard fuyant, humble et intérieurement prêt à la révolte.

Il est compliqué cet homme ! Ce n'est pas "elle" qui a "des formules contorsionnées" mais c'est bien lui qui se contorsionne : "C'était la réponse la plus belle, la plus simple, et pourtant c'était celle que j'attendais le moins." (l.15). Sa tête à lui est en arythmie ! Le premier paragraphe mime ce tourbillon, cet essoufflement, cette asphyxie avec des phrases où s'enchaînent différents rythmes : au rythme ternaire ("J'avais tout débité d'un trait, de peur qu'elle ne m'interrompe, de peur que je ne trébuche sur les mots.") suit une phrase simple ("Je ne l'avais pas regardée une seule fois.") puis un rythme binaire ("Et quand je m'étais tu, je ne l'avais pas regardée non plus."). Pour compléter l'impression de ce rythme brisé (mimétique de l'homme brisé par l'attente), la fin du paragraphe est construite sur un faux rythme binaire ("J'avais peur de voir dans ses yeux ce qui pourrait ressembler à de l'indifférence, ou à de la compassion.") puisque la phrase suivante enchaîne sur une longue reprise ("Ou même à de la surprise, car si je savais pertinemment que… ".) qui clôt le premier paragraphe

La femme semble presque disparaître derrière une réponse fort brève : "oui" (l.13)… Et pourtant le narrateur nous en fait un portrait assez précis. Pas de portrait physique (nous n'assistons pas à une première rencontre) mais un portrait "en creux" : Clara (je crois que c'est son prénom) n'est pas identifiée ici, peu transparaît de ses faits et gestes, mais on apprend comment se construit sa réponse.
Il n'y a dans ses yeux ni "indifférence", ni "compassion", ni "surprise" ; la situation est peut-être même attendue puisqu'elle ne manifestera pas cette surprise qui "aurait donné à penser" au narrateur qu'ils n'étaient "pas dans les mêmes dispositions" ; elle n'est pas condescendante, ni polie, ni indifférente, ni compassionnelle puisqu'elle répond par "oui" (l.13)… Un "oui" qualifié de "simple" mais aussi de "sec" par le personnage masculin… "Sec" qualifie-t-il le ton utilisé ou la brièveté de la réponse ? Ce "oui" laisse "sans voix" (l.24)... Ce "oui" est-il sec parce que les "yeux en larmes" étranglent la voix qui ne peut exprimer plus ? Ce "oui" n'apparaît pas comme un "oui" artificiel : pas un "Oui, j'ai entendu", ni un "Oui, je prends acte", pas plus qu'un "Oui, je vais réfléchir" : la chute du texte nous parle explicitement de la sincérité du personnage féminin : "C'était le vrai " oui ", le " oui " le plus pur". Ainsi le lecteur, par le passage de l'article "un" à l'article "le" pour déterminer ce "oui", voit en "elle" une belle femme, au travers de sa sincérité ("le vrai oui") et de cette tendresse visible dans "des yeux en larmes et un sourire de femme aimée." : le lecteur (masculin) de cet extrait veut avoir le même regard que le narrateur !

Mais la chute (l.29-30) est bien une chute. Nous attendions mimétiquement l'approbation intellectuelle, physique, émotionnelle de cette femme. Fin du suspens : tout en elle dit "oui", même sa respiration "chaude comme un soupir" (l.12) ! Mais que dire de cette remarque : "un sourire de femme aimée." ? "Femme aimée" n'est pas "femme amoureuse", ni "femme aimante" ! Où est la réciprocité ? Le narrateur justifierait-il ici, par "intuition masculine", qu'il avait réellement des soucis à se faire et que cette peur initiale était justifiée même si elle ne portait pas sur les bonnes causes ? Le couple, n'est pas constitué (deux seules occurences du mot "nous", l.6 et 20)...

 

Un magnifique texte où un personnage "se déclare". Mais pour oser faire sa déclaration, il faut être deux et se sentir engagés dans la même direction. Clotilde de Marelle, à ce jeu de la sincérité, est éconduite par Bel Ami (dans le roman éponyme de G. de Maupassant), et le lecteur partage sa souffrance de femme blessée. On comprend que le narrateur (méditerranéen comme Amin Maalouf ?) des "Échelles du levant", après avoir osé parler de ses sentiments et "fait sa demande" éprouve cette peur viscérale d'une réponse en dysharmonie : l'engagement réciproque est fondamental, grave, voire vital.

Ici, sous le seul point de vue masculin, nous ne pouvons avoir que des incertitudes : avec optimisme nous pouvons espérer beaucoup de ce nouveau couple ou, en lecteur (confirmé), nous attendre avec ce "oui" à un début de moultes complications...

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