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[ fiche méthode] (nouveau programme, sujet 3 dit "sujet d'invention")

Sujet 1 : Étude d'un texte argumentatif

X,1 L'Homme et la Couleuvre.

Un Homme vit une Couleuvre :
"Ah ! méchante, dit-il, je m'en vais faire une œuvre
Agréable à tout l'univers !"
à ces mots, l'animal pervers
(C'est le serpent que je veux dire
Et non l'homme : on pourrait aisément s'y tromper),
A ces mots, le serpent, se laissant attraper,
Est pris, mis en un sac ; et, ce qui fut le pire,
On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison,
L'autre lui fit cette harangue :
"Symbole des ingrats, être bon aux méchants,
C'est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents
Ne me nuiront jamais." Le Serpent, en sa langue,
Reprit du mieux qu'il put : "S'il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourrait-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde
Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi.
Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice,
C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ;
Selon ces lois, condamne-moi ;
Mais trouve bon qu'avec franchise
En mourant au moins je te dise
Que le symbole des ingrats
Ce n'est point le serpent, c'est l'homme." Ces paroles
Firent arrêter l'autre ; il recula d'un pas.
Enfin il repartit : "Tes raisons sont frivoles :
Je pourrais décider, car ce droit m'appartient ;
Mais rapportons-nous-en. - Soit fait", dit le reptile.
Une Vache était là, l'on l'appelle, elle vient ;
Le cas est proposé ; "c'était chose facile :
Fallait-il pour cela, dit-elle, m'appeler ?
La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ?
Je nourris celui-ci depuis longues années ;
Il n'a sans mes bienfaits passé nulles journées ;
Tout n'est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants vLe font à la maison revenir les mains pleines ;
Même j'ai rétabli sa santé, que les ans
Avaient altérée, et mes peines
Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin. vEnfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin vSans herbe ; s'il voulait encor me laisser paître !
Mais je suis attachée ; et si j'eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L'ingratitude ? Adieu : j'ai dit ce que je pense".


L'homme, tout étonné d'une telle sentence,
Dit au Serpent : "Faut-il croire ce qu'elle dit ?
C'est une radoteuse ; elle a perdu l'esprit.
Croyons ce Bœuf. - Croyons," dit la rampante bête.
Ainsi dit, ainsi fait. Le Bœuf vient à pas lents.
Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête,
Il dit que du labeur des ans
Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants,
Parcourant sans cesser ce long cercle de peines
Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux ;
Que cette suite de travaux
Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes,
Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux,
On croyait l'honorer chaque fois que les hommes
Achetaient de son sang l'indulgence des Dieux.
Ainsi parla le Bœuf. L'Homme dit : "Faisons taire
Cet ennuyeux déclamateur ;
Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,
Au lieu d'arbitre, accusateur.
Je le récuse aussi." L'arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ;
Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs.
L'ombrage n'était pas le seul bien qu'il sût faire ;
Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire
Un rustre l'abattait, c'était là son loyer,
Quoique pendant tout l'an libéral il nous donne
Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ;
L'ombre l'Eté, l'Hiver les plaisirs du foyer.
Que ne l'émondait-on, sans prendre la cognée ?
De son tempérament il eût encor vécu.
L'Homme trouvant mauvais que l'on l'eût convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.
"Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là."
Du sac et du serpent aussitôt il donna
Contre les murs, tant qu'il tua la bête.
On en use ainsi chez les grands.
La raison les offense ; ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens,
Et serpents.
Si quelqu'un desserre les dents,
C'est un sot. - J'en conviens. Mais que faut-il donc faire ?
- Parler de loin, ou bien se taire.

Jean de la Fontaine Livre X, Fable 1 (1690)

I - QUESTIONS (10 points)

1- Du vers 1 au vers 30, relevez les termes appartenant au champ lexical de la justice.
Qui les utilise et pourquoi ?       (3 points)
2 - Quelle est la thèse défendue par la vache, le bœuf et l'arbre ?       (2 points)
3 - Comparez les discours de la vache et de l'arbre : quels sont leurs arguments ? Comment sont-ils présentés ?       (3 points)
4 - Qui désigne le pronom " nous " du vers 52 au vers 76 ?       (2 points)

II- TRAVAIL D'ÉCRITURE (10 points)

" Mais que faut-il donc faire ? - Parler de loin, ou bien se taire. "
Les mots seraient-ils donc sans pouvoir contre la force ? Exposez votre point de vue dans un développement argumenté.

Pistes pour une correction...

Sujet peut-ètre un peu déstabilisant : un poème argumentatif ! Une fois bien lu, ce texte ne devait pourtant pas trop vous déranger : les questions m'ont semblé accessibles...

Questions

1- Du vers 1 au vers 30, relevez les termes appartenant au champ lexical de la justice.
Qui les utilise et pourquoi ?
      (3 points)
- De nombreux termes en rapport avec la justice sont utilisés dans cette fable de La Fontaine. Ces termes concernent autant la défense ("pardonner" v.17), que l'accusation ("pervers", "être pris" v.8, "coupable" v.9, "payer de raison" v.10, "condamne" v.22). Ce sont aussi des termes génériques comme "procès" v.18, "justice" v.20, "lois" v.22, "droit" v.29…
Le serpent est le personnage qui utilise le plus ce langage pour tenter de se défendre de l'accusation lancée par la partie adverse ("un homme" v.1) et dénoncer l'injustice humaine.
Cependant, le conteur en précisant bien qui est l'accusé ("l'animal pervers" : ce n'est pas l'homme mais le serpent : "on pourrait aisément s'y tromper" v6) œuvre également pour la justice par cette remarque ironique.

2 - Quelle est la thèse défendue par la vache, le bœuf et l'arbre ?       (2 points)
- Du vers 32 au vers 45 la vache fait le procès de l'homme : elle l'accuse d'être un ingrat doublé d'un égoïste ("tout n'est que pour lui seul" v.37). Pour étayer cette thèse elle montrera combien les bienfaits qu'elle lui prodigue ne sont pas payés de retour.
Du vers 53 au vers 62 le bœuf défend lui aussi la thèse de l'ingratitude de l'homme qui, pour récompense aux labeurs endurés (v.55 "long cercle de peines") est sacrifié pour acheter "l'indulgence des Dieux" (v.62).
Quant à l'arbre, du vers 68 au vers 78, pour lui c'est "bien pis encore" : il défend encore la thèse de l'ingratitude humaine, parce qu'il est bafoué. En effet, malgré tout le confort qu'il apporte, "Un rustre" peut l'abattre, "c'était là son loyer".
Ainsi les trois personnages ont à se plaindre des mauvais traitements que l'homme leur infflige et donc de son injustice.

3 - Comparez les discours de la vache et de l'arbre : quels sont leurs arguments ? Comment sont-ils présentés ?       (3 points)
- La vache et l'arbre usent des mêmes arguments : nous avons protégé l'homme (je servais de "refuge" v.68 dit l'arbre ; "j'ai rétabli sa santé" v.39 dit la vache). L'une sert à le nourrir (v.35) l'autre à le protéger d'un environnement hostile ("ornait les jardins et les champs" v.70, "ombre l'été" v.76, chaleur l'hiver v.76). Mais les deux accusateurs se plaignent également de l'ingratitude de l'homme. Celle qui nourrissait est privée de nourriture, celui qui protégeait est "abattu"… c'est là leur conclusion : v.42 "vieille, il me laisse en un coin Sans herbe", quant à l'arbre(v.72) "pour salaire Un rustre l'abattait.".
Ainsi les deux témoins construisent leur discours sur le même modèle comme en échos (construit sur des répétitions syntaxiques) : ils présentent les faits (les bienfaits qu'ils prodiguent, qu'ils "donnent" (au discours direct pour la vache) puis leur désillusion accusatrice (l'homme les maltraite en retour).

4 - Qui désigne le pronom " nous " du vers 52 au vers 76 ?       (2 points)
- Le pronom personnel "nous" ("pour nous seuls" v.54 ; "nous donne" v.57"pour nous seuls" v.70 ; "nous donne" v.74) ainsi que le possessif "nos" ("nos plaines" v.56) représente l'ensemble des êtres humains. Encore peut-on remarquer que ce "nous" inclut le fabuliste lui-même, comme s'il se repentait des mauvais traitements infligés aux plus faibles…

II- TRAVAIL D'ÉCRITURE (10 points)

" Mais que faut-il donc faire ? - Parler de loin, ou bien se taire. "
Les mots seraient-ils donc sans pouvoir contre la force ? Exposez votre point de vue dans un développement argumenté.

- Aucune typologie d'écriture n'étant donnée, vous pouviez choisir le texte poétique, la lettre, la chanson, le pamphlet, le rap … à votre choix pour construire votre argumentation, et opposer "le pouvoir de la force" et "le pouvoir des mots" que l'on dit (ou chante !) ou que l'on écrit !
Votre projet d'argumentation devait pouvoir se construire autour de l'engagement politique et social : si les mots n'avaient pas tant de pouvoir, le texte de La Fontaine lui-même n'aurait pas de sens ! Ce texte a une portée didactique et se lit comme une lutte militante contre l'injustice…
La peur de représailles et le silence peuvent-ils être revendiqués ? Doit-on se taire contre le despotisme ou l'injustice ?

Proposition de la Commission académique d'entente
des Épreuves Anticipées du baccalauréat général
(Académie de Bordeaux)

"Consignes de correction"

 Travail d'écriture

"Mais que faut-il donc faire ? Parler de loin, ou bien se taire."
Les mots sont-ils donc sans pouvoir contre la force ?

Analyse du sujet,

Position de La Fontaine :
règle de prudence, motivée par le caractère pessimiste et désabusé de la fable qui précède : les discours argumentés des animaux et de l'arbre n'ont servi à rien ;
parler de loin : distance prudente cf. auteurs subversifs exilés hors de France et publiant depuis un pays étranger (Voltaire, Rousseau…) ;
se taire : réserver son jugement : liberté intérieure / soumission extérieure à une monarchie absolue.

Sujet problématique, et qui paraîtra tel aux, élèves, facilement enclins à réagir contre l'injustice : il est donc bien d'envisager une première partie qui argumentera le point de vue de l'auteur, la suite servant à la discussion.

Plan proposé

I - Une règle de prudence
1. Le contexte de cette morale
Régime de monarchie absolue, présence d'une censure active, possibilité de lettres de cachet et d'emprisonnement arbitraire > prudence nécessaire.
2. "Parler de loin, ou bien se taire."
Face à cette situation, les contemporains de La Fontaine choisissent souvent le silence > littérature qui traite des problèmes de l'homme universel, et non de l'homme historique ; > pas de critique du régime.
Possibilité cependant de parler à mots couverts ou dans des contextes particuliers :

À moins qu'on ne jouisse d'une certaine immunité (exemple de Bossuet), la prudence et la ruse saut de rigueur.

II - Où en est la liberté d'expression ?
1. permanence de 1a censure et de la force
L'Europe vit sous régime démocratique, mais cela ne doit pas cacher le fait que de nombreux pays ne connaissent pas encore la liberté d'expression -> obstacles venus du pouvoir officiel ou de mouvements extrémistes : intégrisme en Algérie ou en Iran, fatwas contre des écrivains, liberté d'expression très incomplète (en Amérique du Sud, ou en Afrique).
2. L'urgence de parler
Or la liberté d'expression apparaît désormais comme un droit -> entêtement et courage de nombreux journalistes et danger réel pour beaucoup d'entre eux : risque de mort ou d'emprisonnement politique. Volonté d'autant plus forte de garder cette liberté qu'elle est justement menacée.

III - Le pouvoir des mots
1. La liberté d'expression dans les pays démocratiques
À l'inverse, depuis la Révolution, la liberté d'expression et la liberté de la presse se sont imposées, en particulier en France
> droit à la critique, à la dénonciation, et même à l'impertinence. Excès parfois : médias qui s'attaquent à la vie privée des hommes politiques par exemple...
> la presse est devenue un "quatrième pouvoir", avec ses abus, et quelquefois aussi ses zones d'ombres (journaux affiliés au pouvoir ou à tel ou tel parti politique).
2. Les mots des citoyens Liberté d'expression qui appartient aussi à tous les citoyens, quels qu'ils soient
> liberté de s'exprimer par l'écrit et oralement, de manifester -
> liberté d'expression individuelle et collective
> possibilité pour les citoyens d'influencer le pouvoir, de jouer un rôle actif dans la société...
Liberté qui a pour corollaire 1e devoir de s'informer.
> opposition entre le citoyen et le sujet.

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